A une dizaine de kilomètres à l'est de Kavarna, le cap Kaliakra (Noss Kaliakra ) s'avance - grandiose dans sa sauvage beauté - profondément dans la mer.

Situé au bout d'une lande herbeuse, en hiver battue par la violence des vents, le "beau cap" présente ses falaises hautes de 70 mètres et, au pied de celles-ci, une vingtaine de grottes où s'ébat une petite colonie de phoques. Sur ce promontoire, dont la masse rocheuse présente des taches et des veinules rougeâtres, les vestiges de fortifications vous font rêver: s'agit-il bien là des ruines de l'ancien Cap Tyrisis, place fortifiée où Lysimaque - le fameux général d'Alexandre le Grand mort en -281 après s'être proclamé roi de Thrace - aurait caché ses trésors? N'est-ce point plutôt celles d'un ajout d'un des nombreux occupants postérieurs?

Qu'importe! Ce qui reste de l'ouvrage permet de deviner l'importance stratégique du lieu.

Les yeux posés sur les vieilles pierres gorgées de sang, vous poursuivez votre songe. Vous revoyez alors tous ceux qui sont passés par ici: Lysimaque, Flavius Hermogenes, Vitalien, Balik, Dobrotitsa, Amédée VI de Savoie, Ivanko, Ladislas VI le Warnénien...

Soudain, un frisson d'horreur vous secoue car, arrivé en l'an 1444, la chute de la forteresse se dessine sous vos yeux: "Pourchassée par les hordes turques, la population de la Dobroudja a trouvé refuge derrière l'enceinte de la cité. La lutte est âpre, les défenseurs bulgares - qui ne sont qu'une poignée - se défendent pied à pied, mais le flot des assaillants est ininterrompu. La place est prise et tous - hommes, femmes, enfants - sont égorgés par la soldatesque ottomane. Tous... sauf quarante belles jeunes filles qui, pour éviter le sort qui leur est réservé, nouent alors ensemble les longues tresses brunes de leurs cheveux et, liées ainsi, se jettent dans la mer du haut de la falaise".

Aujourd'hui encore, quand les tailleurs de pierre des environs font sauter d'énormes blocs de pierre blanche avec des taches rouges, les anciens affirment qu'il s'agit de gouttes de sang des quarante jeunes filles.
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Histoire:

Si les premiers occupants de Kaliakra sont - en dehors des hommes préhistoriques - des Phéniciens, la ville passe ensuite dans les mains thraces, grecques, puis macédoniennes. Elle se nomme alors Tyrisis et est - selon le géographe grec Strabon - déjà fortifiée dès le IVème siècle avant notre ère.

Complètement reconstruite sous Flavius Hermogenes, célèbre chef de la cavalerie - devenu gouverneur - de l'empereur Constant Ier (Flavius Julius Constans, 337-350), elle sert - au début du VIème siècle et sous le nom de Akre - de quartier général au capitaine Vitalien (qui dirige, en 514, un soulèvement populaire contre l'empereur byzantin Athanase, puis - en 518 - contre son successeur Justinien, avant d'être assassiné en 520).

Dans sa lutte pour l'indépendance de la Bulgarie, le khan Asparoukh (fin du VIIème siècle) se rend maître, à son tour, de Kaliakra (qui ne prendra ce nom qu'au Moyen-Age!). C'est sous le despotat de la Dobroudja que Kaliakra atteint son apogée. Pressenti par Anne de Savoie pour lutter contre l'usurpateur Jean VI Cantacuzène, un boyard local du nom de Archon Balik lève, avec ses frères Théodor et Dobrotitsa, une armée composée de Bulgares et de Grecs. Une campagne militaire triomphale permet aux villes bulgares des bords de la mer Noire - alors sous la coupe de Jean VI - de changer de camp. Accueilli par Anne de Savoie, l'un des trois frères - Dobrotitsa - épouse une princesse byzantine et reçoit le titre de despote. Nommé à la tête de l'armée, il repart au combat... mais subit une énorme défaite. Il parvient malgré tout à préserver le despotat de la Dobroudja, faisant de Kaliakra sa capitale, mais doit reconnaître la suzeraineté du tsar bulgare Ivan-Alexandre.

En 1366, un allié de l'Empire byzantin - le "Comte Vert" Amédée VI de Savoie (1334-1383) - chasse les Bulgares de Kaliakra... sous prétexte de lutter contre l'islam (faudra qu'on m'explique!). Un peu plus tard, la forteresse est reprise et Dobrotitsa s'en va aider Ivan-Alexandre à repousser de Vidine les Magyars. En reconnaissance, le tsar le reconnaît "despote" et lui permet d'être indépendant de la couronne bulgare. Il fait alors de Kaliakra la clef de voûte d'un système défensif qui comprend le cap Galata, Kosyak (près d'Obzor) et le cap Emona.

A sa mort (1385), son fils Ivanko lui succède. En 1396, le cap Kaliakra tombe, avec le despotat de Dobroudja, sous les coups des Osmanlis. Libéré quelque quarante ans plus tard par Ladislas VI le Warnénien, il retombera bientôt (1444), et pour presque 400 ans, sous le joug ottoman.

Signalons enfin que, en 1791, l'amiral russe Ouchakov remporte - au large de ce cap - une grande victoire navale sur la flotte turque.

 

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